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Briser les chaines des engagements inconscients, un enjeu d’évolution

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Par Frédéric Demarquet

L’être humain, quel que soit sa personnalité, son vécu, ses origines est par nature façonné par la multitude d’engagements qu’il a pris. Si certains engagements sont conscients, ceux-ci sont néanmoins infinitésimaux comparé au nombre extraordinaire d’engagements inconscients qui façonnent chacun d’entre nous et dirigent nos existences au fil des années. Comment sommes-nous ainsi pris d’engagements sans la conscience d’une quelconque adhésion ? Qu’influencent nos engagements au cours de notre vie ? Quels rôles jouent ces engagements dans nos difficultés, nos souffrances ? Peut-on sortir des engagements nuisibles, obsolètes pour notre équilibre ? Quelques questions auxquelles il est difficile de donner des réponses assurées, mais qui ouvre un champ de réflexion que je vous propose de suivre au fil de ce billet de blog.

Le libre-arbitre est une belle chose. Pourtant, il n’est pas si aisé d’en user dans nombre de situations. En effet, qu’on le veuille ou non, nos engagements sont sans cesse influencés de l’extérieur et l’influence peut être si efficace que malgré nous, nous poursuivons une sorte d’auto influence qui peut durer tout au long de notre vie. Voilà une introduction qui pourrait rendre paranoïaque les plus cartésiens d’entre nous ! Je m’explique : du jour où nous sommes venus au monde, nous avons subis des influences extérieures innombrables. Comme, dès lors que nous sommes dans la relation,  nous ne pouvons pas ne pas influencer, nos premiers contacts avec nos semblables vont créer de fortes influences. Puisque je née fille, on va progressivement se comporter avec moi d’une certaine manière, puisque je né garçon, on va se comporter avec moi d’une autre manière et on va attendre de moi certains comportements en retour. Si je né faible et malade, on va s’inquiéter pour moi, me surveiller davantage et c’est bien normal. Il est difficile de se replonger dans les influences de la naissance mais on peut néanmoins supposer quelles sont déjà source d’engagements pour chaque être humain : s’engager dans le désir de l’autre, du parent.

Au fil des années, les influences se multiplient et chaque être humain va en vivre une énorme quantité quotidienne. Pour passer de l’influence à l’engagement il n‘y a qu’un pas : l’adhésion. Ainsi, tel fils voit son père se comporter de telle manière avec sa mère et, sans même s’en rendre compte, il adhère par souci de modélisation et peut-être se verra-t-il trente ans plus tard agir comme son père le faisait, sans jamais avoir pris conscience d’une quelconque adhésion à ce comportement. La bonne nouvelle, c’est que la majeure partie des engagements que nous avons pris, consciemment ou non, sont plutôt bénéfiques pour notre équilibre, nos évolutions. Parfois pourtant, certains engagements, tels des parasites se logeant dans notre inconscient, nous font prendre des décisions inappropriées, nous font agir à contresens de nos besoins ou encore nous pousse dans des pensées et des émotions négatives pour nous.

Imaginons Mathieu qui travaille comme chef comptable dans une entreprise. Depuis quelques mois, il se sent mal, sa vie perd du sens. Pourtant, il est heureux avec sa femme et son fils, il a une vie sociale bien remplie, il est en bonne santé, il gagne bien sa vie. Si on remonte dans le passé, on peut voir Mathieu à 15 ans qui organise régulièrement des petits évènements dans la commune dans laquelle il habite. Des soirées dansantes, des spectacles, des ventes caritatives… Il connait bien le Maire qui l’appuie dans ses initiatives et met à sa disposition les services de la voirie et d’ordre. Souvent son père lui reproche de passer trop de temps à ces activités ludiques et lui dit que ce n’est pas comme ça qu’on gagne sa vie. Progressivement, Mathieu abandonne ses évènements et passe son bac scientifique. Il poursuite avec des études de comptabilité et intègre une entreprise dans laquelle il va évoluer. Souvent, il rêve d’évènements, d’organisation, il voit les choses en grand et finit pourtant toujours par rationnaliser et se dit que ce n’est pas pour lui, qu’il doit assurer les revenus pour son fils… et il se sent mal.

On voit dans cet exemple classique comment l’influence de son père, qui est motivé par le souhait de bien faire et donc par la bienveillance, va amener Mathieu à une adhésion et donc à un engagement dans une direction autre que celle qu’il aurait peut-être choisie si son talent d’organisateur d’évènements avait été mis en valeur. Beaucoup d’autres influences ont pu suivre comme suivre une filière scientifique, intégrer une entreprise…

Il est parfois des choses qui peuvent donner le tournis quand on y pense : imaginez que chaque croyance que l’on développe sur soi, les autres, les situations, les évènements, chaque comportement du quotidien, chaque décision et presque chaque pensée sont la conséquence d’influences inconscientes à l’adhésion et donc à l’engagement. Bien sûr, nous réfléchissons, nous analysons, nous déduisons et pourtant, tout ceci se fait sous certaines influences anciennes, plus récentes, conscientes, inconscientes, parfois ataviques. La notion de libre arbitre est alors bien précaire.

Prenons maintenant l’exemple de Sylvie. Elle vit seule et a toujours été très indépendante. Elle ne veut être à la charge de personne et prend ses décisions comme elle le souhaite. Telle une skipper, elle vogue sur sa vie à sa guise et sans rendre de compte à qui que ce soit. Elle collectionne les aventures mais ne s’attarde pas. Un homme régulier lui ferait perdre son indépendance. Pourtant, certains soirs, elle rêve de fonder une famille, d’une vie plus tranquille et, surtout, d’un homme sur qui parfois elle puisse s’appuyer. Mais elle chasse vite ces pensées. Jeune, elle a entendu beaucoup de choses négatives sur les hommes car sa mère qui l’a élevée seule avait eu des relations amoureuses difficiles et gardait une certaine rancœur vis-à-vis de la gente masculine.

Dans cet exemple, on voit à nouveau comment une influence extérieure engendre un engagement. La difficulté avec les engagements, c’est que plus je fais des actions, plus je développe des pensées et des croyances dans le sens de l’engagement et plus je m’engage. On parle alors d’un effet de gel qui, tel des œillères sur la tête d’un cheval, empêche de voir d’autres directions que la ligne droite qui représente l’engagement. Donc, plus le temps passe et plus les engagements se scellent. Imaginez Mathieu dans notre premier exemple qui arrive à quelques années de la retraite toujours dans la comptabilité, il y a fort à parier qu’il ne changera plus d’orientation. Pourtant, parfois, certains engagements, dont on a la plupart du temps oublié et l’origine et le sens, nous reviennent en effet boomerang. Une alerte est en place qui nous dit que cet engagement n’est pas bon pour nous. Encore faut-il écouter l’alerte. Et ce n’est pas si simple car l’engagement a produit des modifications importantes dans nos vies, leur équilibre, leur organisation, dans nos pensées, nos idées, notre vision du monde. Même si l’équilibre contient des déséquilibres importants, de la souffrance, des maux physiques, des émotions négatives, des relations difficiles, il reste un équilibre. A quel moment, va-t-on décider qu’il est temps de se désengager ? La réponse sera très personnelle. Bientôt pour certains, plus tard pour d’autres, jamais peut-être ? Et comment fait-on pour se désengager ? Comme on dit, la nature n’aime pas le vide. Se sortir d’un engagement, et plutôt d’une escalade d’engagements car c’est bien ce qui s’est passé avec l’effet de gel, va demander de combler le vide. Et le seul moyen de combler le vide sera de s’engager dans une autre direction. De créer un nouvel engagement qui sera le socle d’une nouvelle escalade mais vers quelque-chose de plus adapté dans lequel le libre-arbitre aura davantage pu jouer son rôle. Une construction plus personnelle, dégagée d’une partie des influences qui ne jouent plus un rôle intéressant pour soi. Ce sera donc l’occasion d’un voyage vers soi et ce qui importe aujourd’hui, redonner du sens, combler les besoins et abandonner ce qui doit l’être, les loyautés aux engagements des autres, des influenceurs de notre vie, quand bien même leurs motivations furent bienveillantes.

Se faire accompagner pour sortir des engagements caducs et se diriger vers de nouveaux engagements est un engagement en soi. Ainsi, voit-on régulièrement consulter dans nos cabinets de coaching ou de thérapie des clients ou patients qui se sont engagés vers un futur différent. Ils ne savent pas encore de quoi il sera fait mais ils savent que la situation actuelle ne convient plus. Le travail de l’accompagnant est alors fort délicat. En effet, comme on ne peut pas ne pas influencer, il serait sûrement dommageable de participer à engager l’accompagné dans une voie qu’il n’aurait pas choisie puisqu’influencée par nous. Et rebelote ! Quelle solution alors pour l’accompagnant ? L’influence thérapeutique (vaut également en coaching), se fait par la relation, l’éthique, l’humilité et la posture basse de non sachant. L’influence peut ainsi prendre la forme de la confiance que l’on a dans l’autre qu’il est le seul à savoir ce qui sera bien pour lui, qu’il est en mesure de trouver les solutions adaptées. Notre travail consiste alors uniquement à offrir un lieu où la pensée et la parole peuvent agir dans un travail réflexif nourrit d’un questionnement et d’un discourt adapté qui influence uniquement le possible sans jamais le nommer. L’accompagné peut alors s’agir lui-même et ouvrir l’écrin de ce possible que lui seul saura voir et dire. Cet engagement sera alors le sien et sa création lui appartiendra. A l’accompagnant reviendra alors la tâche délicate de permettre à l’accompagné de vérifier la pertinence de l’engagement et à l’aider à se positionner vers sa réalisation et vers la transformation pérenne qu’il pourra en faire durant et après l’accompagnement. Cette difficile manœuvre devra se faire sans influencer l’engagement lui-même et, ainsi, l’accompagné sera en mesure de peaufiner son évolution vers ce qu’il a librement choisi, s’offrant ainsi une vérité propre, qui n’appartiendra qu’à lui seul et dont il sera le dépositaire et le garant pour poursuivre son escalade d’engagements vers lui-même.