Par Frédéric Demarquet –
Pour débuter ce billet, il convient de rappeler quelques définitions :
- Un système humain est un ensemble d’être humains ou de groupes d’êtres humains en interactions les uns avec les autres. Les interactions génèrent une nourriture indispensable à tout système vivant : l’information, mais également de l’énergie comme carburant à la transmission de ces informations. La somme des différentes informations et des variations énergétiques permettent aux systèmes de s’auto-réguler soit vers des changements, soit vers un équilibre. Un seul être humain est en lui-même un système constitué d’interactions internes entre différents sous-systèmes, qu’ils soient physiologiques, cognitifs, émotionnels, ou à la croisée de ces derniers.
- L’homéostasie d’un système humain correspond à l’équilibre vers lequel le système tend, plus ou moins consciemment, dans le but principal d’assurer sa survie. Cet équilibre constitue la singularité de chaque système humain qui crée ainsi ses propres règles de fonctionnement, qu’elles soient explicites ou implicites. L’homéostasie peut parfois s’opposer aux évolutions souhaitées par le système ou une partie du système. C’est alors qu’interviennent les redondances qui sont l’objet de ce billet.
Une redondance telle que vue au prisme de la systémie est une répétition sous forme de boucle. Elles peuvent être internes à la personne. Ce sont alors des redondances cognitives (pensées, représentations récurrentes), émotionnelles ou physiologiques. Elles sont aussi externes, entre différents éléments d’un système et deviennent alors des redondances interactionnelles. Les redondances internes vont alimenter les redondances externes et vis et versa.
« Imaginons Sophie, manager de Fabienne. Sophie trouve que Fabienne est molle, ce qui est l’opposé de son comportement dynamique. A chaque fois qu’elle la voit en action, la pensée revient et génère un agacement. Agacement qui va même si elle reste trop longtemps avec elle se loger dans une petite douleur intestinale. On trouve là des boucles internes de types redondance cognitive qui entraîne une redondance émotionnelle, voire même une redondance physiologique. Cet ensemble va entraîner des redondances interactionnelles. Par exemple, Sophie va bousculer Fabienne à chaque fois qu’elle la voit, elle essaye de l’entraîner dans son propre rythme. Mais Fabienne pense que Sophie est une agitée qui brasse de l’air, s’agace à son tour, se bloque et ralentit encore davantage. Sophie valide alors que Fabienne est molle et elle commence de plus à vivre une nouvelle redondance cognitive, à savoir qu’elle ne changera jamais, ce qui renforce l’agacement et la petite douleur…
On peut observer ainsi comment la redondance cognitive de Sophie entraîne une redondance émotionnelle et physiologique, qui entraîne un comportement et donc une redondance interactionnelle. Celle-ci génère par l’information véhiculée une redondance cognitive ainsi qu’une redondance émotionnelle chez Fabienne. Les deux entraînant un comportement et par conséquent une redondance interactionnelle et donc une information en retour vers Sophie. Elle va alors interpréter cette information qui va renforcer les boucles ou les modifier.
Lorsque des problèmes humains surgissent dans les systèmes, qu’ils soient organisationnels ou personnels, l’énergie par laquelle les boucles agissent va se renforcer avec des redondances de plus en plus fréquentes. Ainsi vont les situations de blocage, de souffrance, de stress ou autres. On peut alors dire que le système crée sa propre homéostasie par des règles de fonctionnement répétitives qui entraînent le dysfonctionnement lui-même. L’homéostasie n’est en effet pas un équilibre qualitatif mais peut abriter en son sein des déséquilibres dans le sens ou les problèmes vécus par le système font partie de l’homéostasie elle-même.
Dans l’exemple que nous venons de voir, il ne s’agit en aucun cas de supposer que Sophie est responsable de la situation du fait que nous avons commencé par analyser sa cognition, son émotion et son comportement. Qui de la poule ou de l’œuf n’a en effet aucune importance pour poser un regard systémique sur une situation. Le recherche du responsable serait même un piège majeur. Le systémicien va regarder comment le système agit à ce jour, en analysant ses règles de fonctionnement et les différentes boucles. Il pourra alors définir quelle sera la meilleure porte d’entrée pour permettre au système d’évoluer vers une situation jugée plus intéressante par le système lui-même et a minima par la personne qui se plaint de la situation. Les actions peuvent être menées à différents niveaux : cognitif, émotionnel, interactionnel et parfois même physiologique et vers tout élément du système. En effet, chaque changement dans un niveau ou vers un élément, constituera des différences dans les informations véhiculées et dans l’énergie qui les supportent. Si on s’en réfère au principe de totalité de la théorie des systèmes, tout changement au niveau d’un élément entraîne, par le principe d’adaptation, un changement au niveau de l’ensemble des éléments.
Face à chaque situation qu’il rencontre, l’intervenant systémicien va collecter l’ensemble des informations nécessaires avant de définir à quel niveau et comment agir le plus efficacement possible. Il opèrera alors une intervention minimale et chirurgicale tout en observant la réaction du système et donc les informations qu’il lui livre en retour par de nouvelles boucles qui se mettent en place. Dès lors qu’il intervient, le systémicien considère qu’il fait partie du système puisqu’il va l’influencer. Le travail d’observation et d’écoute est alors majeur puisque toute information véhiculée par le ou les éléments du système sur lequel porte l’intervention devra être considérée comme une collaboration du système dans l’accompagnement lui-même. Ainsi, de régulation en régulation, le système intégrant l’accompagnant pourra abandonner progressivement les redondances qui génèrent le problème pour cheminer vers de nouvelles règles de fonctionnement plus adaptées à ses besoins. Une nouvelle homéostasie verra alors le jour.
Chaque système humain étant lui-même un sous-système d’un système plus large, ils doivent en permanence s’adapter à des pressions externes. Si on se réfère à l’entreprise, il en va ainsi du collaborateur, à l’équipe, au service, à la filiale, au groupe, aux actionnaires… jusqu’à la mondialisation. Les influences ne sont pas que pyramidales, mais peuvent aussi être transverses, tel que la concurrence, les clients, les politiques, les médias, mais aussi la famille, les relations sociales… De plus, l’être humain subit la pression de ses propres systèmes internes. Il est alors tout-à-fait normal que des règles homéostasiques qui ont fonctionnées durant de nombreuses années puissent devenir caduques face à la complexité des interactions. Ainsi, face aux changements environnementaux et à la rapidité exponentielle de ceux-ci, les systèmes humains sont soumis à rude épreuve et doivent faire preuve d’une grande créativité et de grandes ressources pour s’adapter tout en maintenant un équilibre nécessaire. Pour cela, apprendre à connaitre et reconnaitre son fonctionnement singulier par un regard interactionnel et une grille de lecture orientée vers les différentes redondances peut apporter une aide importante sans prendre le risque de se perdre dans une complexité devenue aujourd’hui incontournable.